1918, la « der des der »

L’année 1918 met fin au plus grand conflit que les hommes aient jamais connu. La « Grande Guerre » (Première Guerre mondiale) eut un bilan terrible : 9,5 millions de morts et 21.2 millions de blessés et plus de 73 millions d’hommes mobilisés.

Les Arlésiens pourtant loin du front ont participé et payé un lourd tribut, le « livre d’or des Arlésiens morts pour la France », conservé aux Archives communales d’Arles, atteste de la disparition de 619 d’entre eux.

Le 2 août 1914, ils seront 1500 sur le quai de la gare d’Arles à prendre le train, la plupart rejoindront le centre de cantonnement de la Belle de Mai à Marseille, avant de recevoir un mois d’instruction militaire, puis partiront au front, comme Marius Pons, François Poncet les héros arlésiens à qui l’exposition «  Marius, François, Fritz, la baïonnette et le crayon » avait été consacrée.

Cette année 1918 fut, pour les Arlésiens, meurtrière et dévastatrice, à cause d’événements tragiques liés tant aux combats, aux accidents industriels mais également à la grippe espagnole qui fit des ravages en Europe.

Le 11 novembre, c’est l’armistice libérateur, les clairons sonnent la fin des combats et la fin d’un enfer qui dure depuis août 1914.

La France décide de rendre hommage à ses « enfants tombés au champ d’honneur » en érigeant les monuments aux morts pour se souvenir de la plus meurtrière des guerres de l’époque, ainsi que de la bravoure et des souffrances des soldats morts pour la patrie.

Aujourd’hui, commémorer la Première Guerre mondiale, répond au devoir de mémoire. Il est indissociable du devoir d’histoire qui lui, permet d’en comprendre les causes et les enjeux, et de former des citoyens éclairés qui prennent conscience par le raisonnement et le savoir.

1918 : l’année tragique

« La catastrophe de Beaussenq »

L’industrie d’armement tourne à plein régime durant la période de la Première Guerre mondiale, les poudreries s’agrandissent et aménagent de plus grands espaces pour augmenter leur production et répondre aux besoins des armées.

Depuis 1690, sous le règne de Louis XIV, le village de Saint-Chamas est le siège d’une poudrerie. Détruite par une explosion fin XIXe siècle, elle est reconstruite et agrandie au XXe siècle. Durant la Grande Guerre, 7800 ouvriers y travaillent sur 70 hectares.

La poudrerie dispose de nombreuses annexes : à Marseille, une raffinerie de salpêtre (qui entre dans la composition de la poudre noire), ainsi que des logements collectifs, appelés cantonnements, autour de Saint-Chamas jusqu’à Miramas.

Deux dépôts d’explosifs : le parc Monteau à Miramas et le parc Beaussenq à Saint-Martin-de-Crau qui, à l’époque, dépend de la commune d’Arles.

Le lundi 3 juin 1918, une explosion détruit le dépôt d’explosif du parc Beaussenq entre Entressen et Saint-Martin-de-Crau. Un article de l’hebdomadaire de l’arrondissement d’Arles « L’Homme de Bronze » du samedi 8 juin 1918 relate l’événement dont la déflagration est comparée à celle d’un tremblement de terre. L’explosion eut lieu à 16H30 et vers 18h00 une quarantaine de blessés arrivaient à l’hôpital d’Arles. Un premier bilan fait état de 70 morts, dont la totalité des travailleurs coloniaux répartis entre Arles et Istres, mais il s’alourdit très vite.

Les obsèques de 61 victimes ont lieu le mercredi 5 juin à 11h00 du matin. Les cercueils sont accompagnés par de nombreux Arlésiens. Les sociétés, les chefs de service de l’administration et les écoles forment les délégations qui apportent des fleurs.

Cette cérémonie prend un caractère solennel et officiel car de nombreuses personnalités sont présentes : M. le Général Legrand ; M. Toulet, chef de bataillon ; le sous-préfet ; Jean Granaud, maire d’Arles ; Emile Michel, conseiller général. Au cimetière, tous font un discours ainsi que le pasteur protestant. Les discours saluent « les frères d’armes morts pour la Patrie ». Des remerciements sont exprimés à la population, aux services de santé, aux soldats des troupes marocaines qui se sont dévoués dans cette terrible catastrophe.

Le ministre de l’Armement et des Fabrications fait connaître la procédure d’évaluation des dégâts. Le conseil municipal, dans la délibération du 31 août 1918 (D 43), désigne une commission spéciale composée de membres militaires et civils dont Hyppolyte Gourraud, architecte délégué spécial apte à évaluer les dégâts.

Le Souvenir français, créé en 1887, a pour mission de maintenir la mémoire de tous ceux qui sont morts pour la France, qu’ils soient Français ou étrangers. En 2008, le Souvenir français a inauguré une plaque au parc de Beaussenq, à Saint-Martin-de-Crau, à la mémoire des 200 soldats morts le 3 juin 1918 dans l’explosion du dépôt de munitions. 76 victimes n’ont pu être identifiées et reposent dans une sépulture commune au carré militaire du cimetière d’Arles.

Ces soldats appartenaient aux régiments territoriaux, du 7e Génie d’Avignon et des unités de tirailleurs marocains.

« La grippe espagnole » n’épargne pas Arles

Véritable pandémie mondiale, elle fit 50 millions de victimes à travers le monde, et entre 125000 et 250000 en France suivant les sources.

Les origines de l’épidémie sont assez mal connues, et deux hypothèses sont avancées :

  • Des Etats-Unis, elle se propage en Europe par le transport des troupes américaines infectées par le virus en juin 1918.
  • Une autre hypothèse laisse entendre que l’épidémie aurait pour origine l’Asie et serait transmise par les troupes coloniales et les ouvriers indochinois.

L’Espagne, pays neutre durant la guerre, est touchée aux mois de mai-juin par la maladie. La presse espagnole en parle, révélant même que le roi et son entourage en sont atteints. C’est pour cela sans doute que l’épidémie prit le nom de « grippe espagnole ».

Dans les pays en guerre, la presse a pour mot d’ordre de ne pas faire état de la progression de la maladie afin de ne pas affoler une population déjà bien éprouvée par le conflit et de ne pas démoraliser les troupes. C’est le cas à Arles où l’on ne parle pas de cette épidémie dans la presse locale.

A Arles, comme dans le reste de la France, c’est fin juillet que le virus est le plus virulent. Les hôpitaux sont submergés, on manque de lits pour accueillir les malades, de médicaments, de linge, de matériels. Les patients attendent parfois trois jours pour être hospitalisés. Les pharmaciens manquent de quinine, d’aspirine et surtout de rhum, très prisé des patients comme stimulant. La surmortalité est alarmante, les registres des hôpitaux arlésiens recensent les malades affectés par la grippe espagnole. Ils comptent 174 victimes pour l’année 1918 dont la plupart sont de jeunes adultes (voir ci-dessous, le tableau statistique du bureau d’hygiène des décès par causes et tranche d’âge).

Se posait le problème des enterrements et certaines cérémonies devaient se faire de nuit.

L’hôpital 47, «  hôpital auxiliaire du territoire », est confié par la Croix rouge au comité d’Arles de la Société française de secours aux blessés militaires, qui occupait l’ancien collège Frédéric Mistral, du 9 septembre 1914 au 15 juillet 1917.

L’hôpital mixte, ancien hôpital d’Arles, actuellement l’espace Van Gogh (voir la photo ci-dessus), fait face seul à l’épidémie.

Parmi les personnages célèbres de cette époque, notons le Docteur Félix Rey (1867-1932), qui soigna Van Gogh lorsqu’il se coupa l’oreille, et dont le peintre fit un portrait qu’il lui donna pour le remercier. Ce tableau se trouve actuellement au musée Pouchkine à Moscou. Il donna son nom à la place devant l’entrée de l’ancien hôpital actuellement l’espace Van Gogh.

Autre Arlésien célèbre, Jean-Baptiste Louis Noël Rey (1878- 1973), frère du docteur Félix Rey, qui s’occupa de l’hôpital 47 implanté, comme nous l’avons vu, dans l’ancien collège Mistral. Il fut également le créateur du dispensaire antituberculeux en 1915 et du service de radiologie de l’hôpital mixte d’Arles. Médecin légiste et expert auprès du Tribunal de Grande Instance de Tarascon, il fut aussi membre de l’Académie d’Arles. Il s’éteignit en 1973, à l’âge de 95 ans.

Les conséquences de la pandémie sont nombreuses. Celle-ci affecte la démographie des pays et aggrave l’effet meurtrier de la guerre.

En 1922, dans le cadre de la Société des Nations (SDN), le Comité de la santé et de l’Organisation d’hygiène, ancêtre de l’actuelle Organisation mondiale de la santé (OMS), est créé pour combattre ce fléau.

« Le 11 novembre 1918, l’armistice est signé !  »

L’armistice est signé le 11 novembre à 5h15 dans le wagon spécial du maréchal Foch, au milieu du carrefour de Rethondes, dans la forêt de Compiègne. A 11h00, sur le front les clairons sonnent «  cessez le feu » «  levez-vous », «  au drapeau » et la Marseillaise aurait jailli des tranchées.

Le « Forum Républicain » du 16 novembre 1918, titre « La victoire ». Cet article rend compte de la journée du 11 novembre qui met fin « aux sanglantes hécatombes de cette horrible guerre » , « victoire de nos armes contre l’envahisseur », « qui réparait tous les torts faits à la France depuis 1871 », « l’Alsace Lorraine ferait son retour vers la mère patrie qui serait vengée de toutes les humiliations subies depuis 48 ans » et enfin qui rappelle aussi la création de la Société des Nations et du Tribunal des peuples.

A Arles, alors que la nouvelle se répandait dans la ville, on assista à des scènes de liesse, les administrations et grands magasins ayant donné congé à leur personnel. Dans une manifestation patriotique, on arborait les drapeaux tricolores aux fenêtres. Un défilé des différentes délégations de la ville prenait un air de fête au son de la Nouba des tirailleurs. La population communiait dans les rues et convergeait place de la République où un dirigeable, venu survoler la ville, fut accueilli par une ovation frénétique.

Le soulagement : après quatre ans et demi de guerre, Allemands et Français peuvent à présent se regarder sans s’entretuer.

La commémoration

Le 22 février 1919, une délibération du conseil municipal adopte la création d’un comité pour la construction d’un monument à la mémoire des soldats arlésiens morts pour la France durant la Grande Guerre de 1914-1918. Elle prévoit la somme de 10.000 Francs pour la construction. Un grand comité du monument aux morts et la commission des fêtes du conseil municipal se chargent de récolter les fonds.

Cette délibération fait référence au livre d’Or des Arlésiens morts pour la France durant la Première Guerre mondiale qui recense les 619 soldats « tombés au champ d’Honneur » pour défendre la patrie. Ce livre donne l’identité de chaque soldat, la date et le lieu de naissance, le régiment et le grade ainsi que la date et le lieu de la mort.

Le 4 janvier 1923 le conseil municipal accepte la proposition de M. Vadon, président du comité pour le monument aux morts de faire exécuter le monument aux frais de M. de Luppé, moyennant le paiement des matériaux nécessaires à son édification. Le monument sera construit sur le boulevard des Lices, où il est toujours aujourd’hui, près de l’ancienne salle des fêtes (aujourd’hui maison des associations), construite en 1930 sur les plans de Gaston Castel.

Saint-Martin-de-Crau a deux monuments aux morts 

A Saint-Martin-de-Crau, commune dépendante d’Arles à l’époque, le 12 janvier 1919, c’est la commission spéciale présidée par Léon Michaud qui est chargée de lancer la souscription pour la construction d’un monument en hommage « à ceux de ses enfants qui sont tombés pour le salut de la Patrie et perpétuer ainsi leur glorieux souvenir ». La commission, réunie le 15 juillet 1920, choisit l’emplacement devant l’église et l’artiste Constant Roux, grand prix de Rome, pour le réaliser. 20.000 francs auront été nécessaires à sa réalisation et son inauguration prévue le 20 novembre 1922. Les familles saint-martinoises auraient préféré un monument au cimetière. Un ossuaire sera érigé par M. Maubier, marbrier à Salon de Provence. Sur ses quatre faces sont inscrits les noms des soldats morts au champ d’honneur.

« La cérémonie du 11 novembre »

La cérémonie du 11 novembre devient officielle en 1920, mais ce n’est qu’en 1922 que ce jour devient « fête nationale fériée » pour célébrer la victoire et la paix. Depuis, chaque année, on commémore cette date qui mit fin à la Première Guerre mondiale au bilan désastreux. Toutes les familles françaises perdirent au moins un membre dans ce terrible conflit. Depuis 2012, la République française rend hommage à tous les morts pour la France. A Arles, comme dans toutes les communes de France, les élus, les membres des associations des anciens combattants, des habitants se recueillent autour du monument pour y déposer des fleurs puis rendent hommage aux morts dans les cimetières militaires.

Depuis de nombreuses années, maintenant, on associe également des élèves de la commune qui ont étudié la Première Guerre mondiale avec leurs professeurs et qui, ce jour là, participent à la cérémonie. L’association des jeunes générations au centenaire participe tant au travail, qu’au devoir de mémoire et au devoir d’histoire.

Commémorer, pour se souvenir de l’ampleur du désastre, de la bravoure des Arlésiens, comme de celle de tous les Français partis défendre la patrie, se souvenir de l’effort de guerre de tout un peuple. Se souvenir : pour ne pas oublier que cette histoire fait partie du patrimoine national et local, et comprendre grâce à l’Histoire ce qui s’est passé.

En 1918, bien que l’on avait perdu la foi envers les valeurs morales et spirituelles qui faisaient la grandeur et l’unité de l’Europe, les Arlésiens ont voulu tout de même croire que cette guerre qui venait de s’achever serait la dernière de l’histoire, la « der des der »

Pour aller plus loin : Commémorer le centenaire de la Première Guerre mondiale.

Supports proposés par le service éducatif des Archives communales d’Arles :

  • Suivre l’itinéraire des soldats arlésiens grâce à l’exposition des Archives communales de la ville d’Arles

« Marius, François, Fritz, la baïonnette et le crayon » labellisée par la mission du Centenaire.

  • Participer au « Parcours spécial Première Guerre mondiale » avec les trois ateliers pédagogiques pour mieux comprendre les enjeux de la Grande Guerre et le rôle des Arlésiens durant cette période.

École primaire : Classe de CM2. Participer au concours « les petits artistes de la mémoire ».

Collège et Lycée : Mettre en perspective l’année 1918 à l’issue du premier conflit mondial.

Au collège : dans le thème d’histoire «  Civils et militaires dans la première guerre mondiale » et en français sur la littérature concernant ce thème. A travers les personnages illustres comme Georges Clémenceau « Père la Victoire ».

Collège : « Pratiquer différents langage en histoire », Préparer ses élèves à l’oral du DNB et à la soutenance d’un projet dans le Parcours citoyens en observant le devoir de mémoire et d’histoire pour comprendre l’importance et les enjeux de la première guerre mondiale et ceux de la commémoration du centenaire de la grande guerre.

Sébastien Brunet professeur chargé de Mission par la Délégation Académique à l’Action Artistique et Culturelle auprès du service éducatif des archives communales de la ville d’Arles