Le livret ouvrier : 1803-1890, de l’instrument d’encadrement au contrat de travail

Le livret ouvrier est mis en place par la loi du 22 Germinal de l’An XI (12 avril 1803) qui sera promulguée et appliquée sous forme d’arrêté le 9 Frimaire de l’An XII (1er décembre 1803). Il sera abandonné en 1890.

Avec cette loi, le Consulat renoue avec l’Ancien Régime. En effet les congés délivrés par les maîtres au XVII°s aux compagnons seront rendus obligatoires par le conseil d’Etat au Roi le 18 octobre 1740. Des lettres patentes notamment l’Edit de Turgot en avril 1776 complétées par celles du 12 septembre 1781 soulignent la nécessité « d’entretenir la police et la subordination parmi les ouvriers ».

En 1803, le livret ouvrier est bien dans l’esprit du législateur un moyen de contrôle des déplacements des ouvriers, un moyen d’imposer la discipline et de lutte contre le vagabondage. Cependant il deviendra aussi un « brevet de capacité » attestant de la qualité et des compétences des ouvriers.

C’est d’abord une mesure de police. Bonaparte voulait empêcher les tentatives de rébellion en protégeant les patrons et l’industrie et mater les ouvriers turbulents. Chaptal, ministre de l’Intérieur en 1803, confirme cette idée de protection du « bien de l’industrie » et de faire « bonne police ». Les ouvriers ne peuvent pas se défendre dans les conseils des prud’hommes dominés par les représentants du patronat (26 sont créés entre 1806 et 1813).

Le livret est délivré par les maires des communes et les commissaires des grandes villes. Il précise le nom de l’ouvrier, son prénom, son âge, son lieu de naissance et de résidence, sa profession et le nom du maître chez lequel il travaille. Ces données sont importantes pour les autorités publiques qui comptabilisent le nombre d’ouvriers par profession et par région, données transmises au préfet puis au ministère de l’agriculture et du commerce (et non au ministère de l’intérieur).

Les ouvriers doivent faire viser ce document aux autorités publiques lorsqu’ils changent de résidence. Ces visas sont indispensables faute de quoi l’article 217 du code pénal sanctionne cette absence par 1 à 3 mois de prison. En réalité cet aspect policier a été surestimé et a plutôt une valeur symbolique. La cour de cassation dans un arrêt du 9 juillet 1829 considère que l’assimilation au vagabondage, faite par l’arrêté du 9 frimaire de l’An XII (30 novembre 1803) est inapplicable. Les archives de nombreux départements sont dépourvues de registres de mairies destinés à l’enregistrement des livrets qu’elles délivrent, à l’exception des chefs- lieux de canton.

Le livret est un moyen de surveillance mais c’est également un outil efficace pour les patrons de faire respecter les engagements contractuels de l’ouvrier. D’ailleurs, la loi du 22 germinal de l’An XI (12 avril 1803), voit dans l’instauration du livret ouvrier une décision « protectrice des engagements entre ouvriers et ceux qui les emploient garantissant les ateliers de la désertion ». Les maîtres sont confrontés à l’indiscipline et doivent faire face aux dettes des ouvriers ou à leur débauchage par d’autres patrons.

La loi du 14 mai 1851 du Second Empire supprime le droit de rétention du livret en cas de non remboursement des dettes mais le maintien en cas de travail non terminé. De plus en 1854 ce dispositif est étendu aux femmes et aux travailleurs à domicile, créant une sanction pénale de 1 à 15 francs et de 1 à 5 jours de prison. Cette obligation est peu respectée en raison de nombreux faux livrets surtout dans les campagnes ou encore parce que certains patrons ne mettent pas à jour leurs registres.

Sous le Second Empire, en 1868, une commission d’enquête aurait voulu abroger le livret pour le transformant en livret facultatif ou conventionnel, certificat ou contrat de travail ; finalement la loi ne voit pas le jour. En 1880 c’est la naissance du « contrat de travail », malgré une confusion des catégories juridiques en droit du travail on distingue deux domaines : le louage d’ouvrier et le louage de services.

Les débats parlementaires de 1890 opposent partisans et adversaires du livret facultatif surtout sur la nature du livret ou du certificat. Le certificat donne des renseignements sur l’emploi précis alors que le livret liste l’ensemble des emplois occupés, permet également de retracer la vie professionnelle ainsi que ses périodes de non travail, la durée des contrats et le sérieux de l’ouvrier. Aujourd’hui encore, certains dénoncent la renaissance du livret à travers le curriculum vitae dont la forme fait débat alors qu’il est indispensable au recrutement et à l’embauche.

Entre la fin du Second Empire et la Troisième République on voit une évolution entre droit protecteur et répressif. On assiste également avec l’industrialisation à une déconnexion entre domaine public et privé car les entreprises devront organiser elles-mêmes la discipline et les règlements des ateliers et des usines.

Enfin le livret apparaît comme certificat de travail sous la Troisième République avec la proposition de loi de Dautresme du 11 novembre 1881 votée le 2 juillet 1890 ! La loi abroge tous les textes relatifs au livret ouvrier. Elle fut mal interprétée, preuve en est que les conseils des prud’hommes continuent à traiter des litiges concernant le livret après 1890. Ce dernier est encore délivré en 1939 dans certains départements (à l’exemple du Nord), comme l’indique des circulaires préfectorales adressées aux maires !

Document :

Contexte historique

Au début du XIXe siècle, les ouvriers sont victimes de méfiance policière et de l’autorité patronale. Le livret ouvrier, l’interdiction des coalitions ouvrières (1803) et surtout la supériorité légale reconnue au maître font que les ouvriers sont traités en mineurs. Les migrants saisonniers, particulièrement redoutés comme de possibles fauteurs de troubles, font l’objet d’encadrement et de surveillance. A Paris et en province, ils sont exposés à être arrêtés et expulsés des villes

Quelques pistes pédagogiques

Ce document nous renseigne sur l’usage de ces livrets d’ouvriers.

Collège :

Classe de Quatrième :
Histoire : Partie III – Le XIXe SIÈCLE

  • Thème 1 – L’âge industriel
  • Thème 2 – Les fondations d’une France nouvelle pendant la Révolution et l’Empire

Éducation Civique : Liberté, droit, justice

  • Partie I – L’exercice des libertés en France

Lycée :

Classe de seconde :
Histoire : La Révolution française : l’affirmation d’un nouvel univers politique

Collège et lycée

Classe de quatrième et de seconde
Lettres modernes : « Les Misérables » de Victor Hugo

Questionnaire possible :

Présenter le document :
Quelle est la nature du document ?
Par qui est signé ce document ? Faire une recherche sur ces personnages

Titre I

  • Article 1 : Quel est l’obligation faîte aux ouvriers dans cet arrêté ?
  • Article 2 : Par qui doit être signé ce livret ? Quels renseignements donne-t-il sur l’ouvrier ?
  • Article 3 : Montrer que les ouvriers ne sont pas libres de circuler librement. Comment sont considérés les ouvriers sans livret ?

Titre II

  • Article IV et V : Relever les obligations faîtes aux patrons employant des ouvriers ?
  • Article VI à X : Montrer par quels moyens le maître peut retenir l’ouvrier.

Titre III

  • Montrer que les formalités pour obtenir un livret sont contraignantes. Qui intervient dans la délivrance d’un livret ?

Sébastien Brunet Professeur relais Archives Communales de la ville d’Arles